Dictateur ou meilleur pote ? Quel équilibre trouver en tant que chef ?

jeudi 24 Mar. 2022

Certains disent que les vrais chefs charismatiques le sont dès leur enfance. Le président Abraham Lincoln donnait des ordres à tous ses camarades de classe dès la primaire…

Pour ma part c‘était tout l’inverse, j’étais le petit nouveau de la classe qui essayait de se faire des amis et de rejoindre un groupe (j’ai changé 8 fois d’établissements étant enfant, mais c’est une autre histoire …).

J’étais souvent le plus petit, qui n’avait pas la TV à la maison, incapable de parler de Dragon Ball Z ou de Pikachu à la récré, autant dire que ce n’était pas évident.

Mon épiphanie en leadership, je l’ai eu en terminale.

Après un énième déménagement, je me suis retrouvé à Strasbourg. J’ai été accueilli à bras ouvert dans un groupe de jeunes associatif, et pour la première fois, mes idées étaient entendues et appliquées !

Je n’étais plus le garçon isolé qui cherche des amis mais le créatif ! C’est à partir de là que le sujet du leadership m’a passionné et cela ne m’a pas lâché depuis mes 18 ans.

Alors je sais qu’en France le mots leadership est mal vu. Dans notre belle langue, nous parlons de responsabilité, de chef, on utilise plus une sémantique militaire, mais ce n’est pas l’objet de cet article, je pense que j’en ferais un autre prochainement.

Le sujet du leadership me passionne, comme certains aiment parler de Star Wars ou de leur prochain marathon.

Mais étonnamment, j’ai beaucoup de mal avec le fait d’être le chef… J’ai souvent essayé d’être le patron-meilleur pote, qui rend le travail cool en remplissant le frigo de bière et organise des séminaires dignes d’un road trip entre amis. Je voulais être le leader qui encourage, qui balance des idées puis passe par la case apéro quand il se plante.

Je suis un consommateur compulsif de tests de personnalité. Dans les résultats du Strengthsfinder, il y a le talent includer, dans lequel je me reconnais à 100%. Je vous cite l’une des descriptions :

Vous avez peut-être tendance à solliciter trop d’avis, ce qui induit une complexité inutile, avec trop d’opinions et d’efforts contradictoires. Vous devrez parfois être sélectif à des fins de clarté et d’efficacité.

Dans un autre test, je pouvais lire :

Vous n’aimez pas la hiérarchie ni être vu comme le leader, de peur d’être vu comme au-dessus des autres !  

En lisant ça, j’ai mieux compris mon défi avec l’image du chef et ma réticence quant à la hiérarchie.

Pendant 13 ans je n’avais pas de bureau, je me comportais comme un stagiaire, ne voulant pas créer de distance. J’étais mal à l’aise lorsque l’on m’appelait patron, ne sachant pas si c’était ironique ou sérieux.

Je passais mon temps à solliciter l’avis des équipes, mêmes des stagiaires, pour qu’ils se sentent inclus, respectés, écoutés. Je hochais légèrement de la tête même quand les idées étaient mauvaises pour montrer mon approbation, de peur de mettre mal à l’aise la personne et sa réponse complètement à côté de la plaque.

Je voyais le fait d’être le chef comme quelque chose qui m’éloignerait de mes équipes, alors que nous avions la même tranche d’âge et des centres d’intérêt communs. En réalité j’avais monté cette entreprise pour passer mes journées avec des gens sympas et passionnés comme moi, des amis quoi !

À mes 25 ans nous étions déjà une dizaine dans l’entreprise et je me souviens qu’un consultant extérieur était venu faire un audit. Il m’avait dit :

“David, vous n’êtes pas un groupe de jeunes, fini de jouer à Call of duty, faire des barbecues le soir et organiser des battle de Nerf !”

C’est alors que ma longue métamorphose pour trouver mon style de leadership a commencé ! J’ai eu beaucoup de mal à trouver le bon dosage entre inclusion, motivation et clarté, direction. A quoi ressemble le David-Chef ? Je pense que c’est un sujet ouvert et que je continuerais de l’explorer jusqu’à la fin de ma vie.

Le premier constat est que le leadership est fait de paradoxes qui varient en fonction des personnes, des situations et des stades de la relation avec les équipes.

Certaines personnes ne comprennent pas et sont insécurisées par un chef trop gentil qui pose des questions et travaille en mode collaboratif. Ces personnes cherchent le conflit pour être cadrées et sentir l’autorité. Je me souviens d’un manager qui utilisait les réunions d’équipe pour faire passer ses messages et me faire passer pour un con, gentillement bien sur, mais c’était systématique, jusqu’au jour où, après le conseil d’un coach, je l’ai repris devant tout le monde, la voix un peu tremblotante.

J’étais convaincu qu’il allait me poser sa démission dans la foulée, mais c’est tout l’inverse qui s’est produit. Il est venu me voir pour me remercier pour la superbe réunion. J’étais sur le cul !  

À l’inverse, d’autres n’ont pas besoin de ça et cherchent le cœur à cœur pour puiser l’énergie nécessaire pour déplacer des montagnes. 

Être le chef, c’est jongler avec différentes facettes de la personnalité humaine pour savoir parler le langage de son équipe et répondre à leur mode de communication.

J’ai eu plusieurs moments fondateurs dans mon parcours de leader, le premier a été la solitude face aux dettes.

C’est le moment où j’ai réalisé que si je foirais l’entreprise, j’allais être seul avec mon associé à en assumer les conséquences et que nos familles allaient être les premières à en souffrir. 

Cet épisode m’a donné beaucoup de perspective et la prise de conscience du poids de mes décisions. Je suis responsable de la réussite de l’entreprise, du coup je peux écouter les avis, mais à la fin c’est moi qui dois trancher parce que je serais celui qui paiera si ça casse. 

Mes salariés partiront avec une longue période de chômage, un super CV, un réseau de clients vers qui ils pourront candidater tandis que je devrais tout rembourser et porter le poids de l’échec.

C’est la partie sombre de la responsabilité, mais ce qui m’a réellement motivé à faire évoluer ma posture est inscrit dans l’étymologie du mot autorité :

“« Autorité » est un terme provenant du nom latin auctoritas. … Le verbe augeo, dont provient l’auctoritas, qui signifie faire naître, augmenter, produire à l’existence.”

Et si mon rôle était de permettre à mes équipes de se déployer ? De progresser, mieux se connaître, être fier de leur travail. Tout ça ne passe pas tout le temps par du fun et des encouragements. Je peux être le chef sans être l’ami de tout le monde. 

Je l’ai vite compris quand nous avons passé la barre des 25 salariés,

impossible d’avoir des temps de qualité avec tout le monde, encore plus avec 60 salariés aujourd’hui, sans compter le fait que le feeling passe avec certains et pas forcément avec d’autres. Ça ne doit pas m’empêcher de tout faire pour que l’exercice de mon autorité leur permette de grandir au sein de l’entreprise.

Je me souviens à mes débuts de la démission d’une amie qui était chef de projet. Nous étions aussi dans le même groupe de reggae. Elle m’avait dit quelque chose du genre :

“Je sens que vous avez un plafond dans votre leadership et vous ne pouvez pas m’aider à progresser, je dois me mettre sous l’autorité d’un leader avec plus d’expérience” (je paraphrase sûrement mais c’est comme ça que je l’avais entendu à l’époque)

C’était dur à entendre, mais elle avait raison. Pour exercer une autorité, je dois avoir les ressources et la connaissance nécessaires pour faire progresser les gens dont je suis responsable.

Je suis souvent surpris par le peu de question qu’on me pose lors des entretiens d’embauches. Si j’étais amené à trouver un patron, j’essayerais de trouver le chef avec le plus de potentiel pour me faire grandir ! Se mettre sous l’autorité de quelqu’un demande de donner sa confiance, sans quoi l’alchimie ne prendrait pas, ce qui créerait de la frustration et une absence de progression.

Ma peur de l’autorité vient de ma peur de devenir un dictateur, pour l’avoir vécu dans le monde associatif.

Je ne veux pas être le chef borné, incapable d’entendre les retours des gens et convaincu qu’il a toujours raison. J’avais juste envie d’être aimé, d’embarquer les gens avec moi et de kiffer le chemin !

Malheureusement, on ne peut pas atteindre à chaque coup ses objectifs et faire l’unanimité. Plus la structure grandit, plus les avis se multiplient, les incompréhensions s’amplifient et alors il devient important de garder le cap, sous peine de faire du sur-place ou sombrer dans la dépression !

Meilleur ami ? dictateur ? aucun des deux. Je pense que chaque relation est différente. Je pense que la réponse se situe au milieu.

Un beau casse-tête !

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